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Retour sur la journée d’étude : Regards croisés sur la fraternité

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Du 1er au 2 décembre 2023 s’est tenu à l’espace culturel Sarraounia, une journée d’étude sur la fraternité pendant les deux guerres mondiales. Une manière de rendre hommage aux braves soldats africains qui nous ont appris le sens de la fraternité, de l’engagement et de la liberté. Dans ce cadre, le modérateur de cette journée d’étude, François Pillard, nous propose cette réflexion. 

Partir du contexte inhabituel de la guerre pour explorer le concept de Fraternité, voilà une idée peu ordinaire ! Et pourtant, on se rend vite compte que la vie contrainte, dans des conditions physiquement éprouvantes, proches de l’inhumain, rapproche ceux qu’elle oblige à la promiscuité et expose au danger mortel à chaque seconde. Il se crée assez vite et spontanément une vraie fraternité d’armes dans les casernes et les tranchées sur le champ de bataille, ou dans le maquis des résistants. C’est plus difficile entre ennemis, mais on connaît cet épisode de Noël illustré au cinéma, qui vit, le temps d’une journée, un moment de fraternité entre deux tranchées ennemies, moment vite réprimé par les hiérarchies : il n’y a pas pire ennemi de la guerre qu’un mouvement de fraternisation. La guerre, c’est le risque de mort, mais c’est aussi, et en grand nombre, les blessés et les hôpitaux. Et c’est là le lieu d’un autre partage fraternel, celui du don de soi-même par des jeunes femmes volontaires, celui du soin infirmier donné sans compter, et  sans discriminer entre les origines géographiques ou sociales. De la fraternité comme un état subi quand on est appelé, on passe ici à la fraternité en actes, mais on reste ici dans le cadre de l’horrible, de l’insupportable, c’est dans cette obscurité en effet que la petite étincelle d’humanité reste seule à scintiller. Soigner les corps, partager les petits gestes du quotidien, faire oublier la souffrance, se côtoyer dans les corvées, se reconnaître comme pays, avec des repères en commun, voilà les débuts d’une fraternité.

Certes, l’horreur des violences inspire un corpus de droit très développé, qui vise à civiliser le déchainement guerrier. La guerre, transgression du sacré, a besoin d’être moralisée par des principes qui s’imposent de façon universelle aux acteurs comme aux décideurs politiques. Civiliser la guerre, drôle d’oxymore, alors qu’on voudrait tout simplement la rendre impossible. Mais peut-on vraiment brider ce qui constitue le fond de la nature humaine?

Il faut entrer ici dans le questionnement philosophique. La crise de la Fraternité pourrait être une crise de la Tolérance, qui parfois déshumanise en créant une asymétrie entre celui qui tolère et celui qui est toléré et placé en situation précaire. Mais la tolérance peut aussi humaniser en promouvant un principe de liberté, de respect de la dignité de la personne, en bannissant l’ostracisme, en recherchant l’harmonie dans la différence. La différence questionne alors la Vérité, facteur d’intolérance et de radicalisation. Edgar Morin le souligne: chaque personne est portée par une vérité. Mais souvent composer avec la vérité de l’autre, c’est se compromettre. Le dogmatisme  peut rendre les hommes incapables de fraternité. Seul le dialogue  permet de rendre acceptables et compatibles des vérités contraires, et de devenir soi par l’autre. Cela commence par le dialogue interreligieux: il ne faut plus que la haine religieuse attise la guerre. Avec le pape François, le chemin de la Fraternité devient un processus individuel et collectif: apprendre à aimer, à partir de sa propre identité, rencontrer les plus fragiles, mettre les altérités en dialogue constructif et évolutif, promouvoir une culture de la rencontre gratuite, soigner les blessures de la mémoire, donner comme compagnes à la vérité, la justice et la compassion, pour que le pardon soit à la fois donné et accueilli. Processus toujours à remettre en chantier, jamais totalement abouti, qui représente un défi pour chaque personne, et pour chaque génération.

Si l’on interroge notre vingt et unième siècle, par quels chemins pourrait passer la fraternité?

La diversité culturelle et religieuse fait maintenant partie de notre quotidien. La France, qui a connu dès l’époque des guerres de Religions, les affres de l’intolérance, a développé, plus que toute autre nation un cadre juridique et culturel pour que la rencontre se passe de façon apaisée. La laïcité, parfois bafouée par le laïcisme, souvent objet d’étonnement pour les étrangers, offre une armature pour la tolérance, mais se trouve mise en difficulté lorsqu’elle rencontre des religions peu ou pas structurées, comme l’Islam ou certaines branches du Christianisme. Elle devra trouver son chemin, comme d’habitude dans le dialogue et les concessions mutuelles, pour rester un instrument puissant d’intégration sociale.

La numérisation effrénée des relations, qui touche particulièrement les plus jeunes, met au défi de passer d’une fraternité de promiscuité, presque tactile, à une communauté d’intérêt, voire d’opinion, où l’on ne se voit plus guère, où l’on n’est même pas sûr de communiquer avec une personne en vérité. Peut-on fraterniser à la vitesse de l’électron sans reconnaître en l’autre un être de chair et de sang? Les générations numériques développent les sens et les aptitudes nécessaires pour s’y retrouver dans le mélange de vrai et de faux dans lequel ils baignent.

Les changements sociaux entraînés par notre entrée dans l’anthropocène représentent un terrible défi existentiel. Les excès inhérents au capitalisme libéral, surconsommation, tensions sur les prix et la disponibilité des ressources, empoisonnement des sols et des eaux, nous conduiront, sous peine de mort, à mieux partager, à réapprendre la sobriété, à revenir à la justice, et donc à redévelopper les valeurs humaines fondamentales, au premier rang desquelles, la fraternité.

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